La nixe ou la dame des eaux

la dame des eaux

Un jeune garçon et sa petite soeur jouaient au bord d’une fontaine, et voilà qu’il tombèrent dedans. Au fond, il y avait une nixe. C’est le nom qu’on donne à ces dames des eaux.

– A présent, je vous tiens, leur dit-elle, et vous allez maintenant travailler dur pour moi !

Elle les entraîna avec elle. A la fillette, elle donna à filer de la vilaine filasse toute sale et toute emmêlée, et aussi à porter de l’eau dans un tonneau sans fond ; le garçonnet, lui, eut à couper un arbre avec une hache ; mais pour toute nourriture, ils n’avaient que des boulettes dures comme pierres. Ce régime et ces travaux exaspérèrent les enfants à tel point qu’ils attendirent le dimanche, quand la dame des eaux se rendait à la messe, et alors ils s’enfuirent.

La nixe ou la dame des eaux

A son retour de l’église, la nixe vit que les oiseaux n’étaient plus au nid et se lança à leur poursuite avec des bons énormes.

Mais les enfants la virent venir de loin, et la fillette jeta une brosse derrière elle : la brosse se multiplia et se dressa en une immense montagne de brosses avec une infinité de piquants, des milliers de piquants, des milliers et des milliers de piquants pointus que la nixe dut escalader à grand-peine, mais qu’elle finit tout de même par escalader.

Voyant qu’elle avait franchi ce Mont des Brosses, le garçonnet jeta derrière lui un peigne, qui devint un énorme Mont des Peignes avec des milliers des milliers de dents pointues dressées devant la nixe. Mais elle savait se tenir sur ces dents et elle fini par franchir le Mont des Peignes.

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Alors la fillette jeta derrière elle un miroir qui donna une montagne de miroirs, mais si brillants, si polis et si lisses que jamais elle ne put s’y tenir et monter dessus.

Je vais vite rentrer à la maison prendre ma hache, pensa la nixe et je briserai ce Mont des Glaces.

Mais, le temps qu’elle revienne, les enfants avaient pris le large et s’étaient enfuis bien plus loin, si bien que la dame n’eut plus qu’à s’en retourner, vivre dans sa fontaine.

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Les frères Grimm

Les petits noeuds

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Il était une fois une fille, jolie comme un coeur mais fainéante et désordonnée.

Lorsqu’elle se mettait parfois à filer et tombait sur un petit noeud dans la laine, elle arrachait aussitôt toute la touffe et la jetait à terre. Sa servante était une fille travailleuse et ramassait cette laine, la dénouait patiemment et la filait finement pour en tisser une étoffe et en faire une jolie robe.

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La fille fainéante avait un jeune fiancé, et leur mariage approchait. La veille des noces, on dansa dans la maison et la fille travailleuse dansa à en perdre haleine. Et la fiancée lança :

– Tiens donc, comme la servante sait se divertir, dans la robe de ma laine qui lui sied à ravir !

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Le fiancé entendit ces paroles et demanda ce qu’elles voulaient dire. La belle lui expliqua que la servante avait tissé l’étoffe de sa robe avec la laine qu’elle-même avait jetée.

Dès qu’elle l’eut dit, le marié comprit que sa fiancée était fainéante. Il la quitta, courtisa la fille travailleuse et l’épousa.

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Les Frères Grimm

La Fée Amoureuse

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Entends-tu, Ninon, la pluie de décembre battre nos vitres ? Le vent se plaint dans le long corridor.

C’est une vilaine soirée, une de ces soirées où le pauvre grelotte à la porte du riche que le bal entraîne dans ses danses, sous les lustres dorés. Laisse là tes souliers de satin, viens t’assoir sur mes genoux, près de l’âtre brûlant. Laisse là la riche parure : je veux ce soir te dire un conte, un beau conte de fée.

Tu sauras, Ninon, qu’il y avait autrefois, sur le haut d’une montagne, un vieux château sombre et lugubre. Ce n’étaient que tourelles, que remparts, que ponts-levis chargés de chaînes ; des hommes couverts de fer veillaient nuit et jour sur les créneaux, et seuls les soldats trouvaient bon accceuil auprès du comte Enguerrand, le seigneur du manoir.

Si tu l’avais aperçu, le vieux guerrier, se promenant dans les longues galeries, si tu avais entendu les éclats de sa voix brève et menaçante, tu aurais tremblé d’effroi, tout comme tremblait sa nièce Odette, la pieuse et jolie damoiselle.

N’as-tu jamais remarqué, le matin, une pâquerette s’épanouir aux premiers baisers du soleil parmi des orties et des ronces ! Telle s’épanouissait la jeune fille parmi de rudes chevaliers.

Enfant, lorsque au milieu de ses jeux elle apercevait son oncle, elle s’arrêtait, et ses yeux se gonflaient de larmes. Maintenant, elle était grande et belle ; son sein s’emplissait de vagues soupirs ; et un effroi plus âpre encore la saisissait, chaque fois que venait à paraître le seigneur Enguerrand.

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Elle demeurait dans une tourelle éloignée, s’occupant à broder de belles bannières, se reposant de ce travail en priant Dieu, en contemplant de sa fenêtre la campagne d’émeraude et le ciel d’azur. Que de fois, la nuit, se levant de sa couche, elle était venue regarder les étoiles, et, là, que de fois son coeur de seize ans, s’était élancé vers les espaces célestes, demandant à ces soeurs radieuses ce qui pouvait l’agiter ainsi.

Après ces nuits sans sommeil, après ces élans d’amour, elle avait des envies de se suspendre au cou du vieux chevalier ; mais une rude parole, un froid regard l’arrêtaient, et, tremblante, elle reprenait son aiguille.

Tu plains la pauvre fille, Ninon ; elle était comme une fleur fraîche et embaumée dont on dédaigne l’éclat et le parfum.

Un jour Odette la désolée suivait de l’oeil en rêvant deux tourterelles qui fuyaient, lorsqu’elle entendit une voix douce au pied du château. Elle se pencha, elle vit un beau jeune homme qui, la chanson sur les lèvres, réclamait l’hospitalité. Elle écouta et ne comprit pas les paroles ; mais la voix douce oppressait son coeur, des larmes coulaient lentement le long de ses joues, mouillant une tige de marjolaine qu’elle tenait à la main.

Le château resta fermé, un homme d’armes cria des murs :

– Retirez-vous : il n’y a céans que des guerriers.

Odette regardait toujours. Elle laissa échapper la tige de marjolaine humide de larmes, qui s’en alla tomber aux pieds du chanteur.

Ce dernier, levant les yeux, voyant cette tête blonde, baisa la branche et s’éloigna, se retournant à chaque pas.

Quand il eut disparu, Odette se mit à son prie-Dieu, où elle fit une longue prière. Elle remerciait le ciel sans savoir pourquoi ; elle se sentait heureuse, tout en ignorant le sujet de sa joie.

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La nuit, elle eut un beau rêve. Il lui sembla voir la tige de marjolaine qu’elle avait jetée. Lentement, du sein des feuilles frissonnantes, se dressa une fée, mais une fée si mignonne, avec des ailes de flamme, une couronne de myosotis et une longue robe verte, couleur de l’espérance.

– Odette, dit-elle harmonieusement, je suis la fée Amoureuse. C’est moi qui t’ai envoyé ce matin Loïs, le jeune homme à la voix douce ; c’est moi qui voyant tes pleurs, ai voulu les sécher. Je vais par la terre glanant des coeurs et rapprochant ceux qui soupirent. Je visite la chaumière aussi bien que le manoir, je me suis plue souvent à unir la houlette au sceptre des rois. Je sème des fleurs sous les pas de mes protégés, je les enchaîne avec des fils si brillants et si précieux, que leurs coeurs en tressaillent de joie. J’habite les herbes des sentiers, les tisons étincelants du foyer d’hiver, les draperies du lit des époux ; et partout où mon pied se pose, naissent les baisers et les tendres causeries. Ne pleure plus, Odette : je suis Amoureuse, la bonne fée, et je viens sécher tes larmes.

Et elle rentra dans sa fleur, qui redevint bouton en repliant ses feuilles.

Tu le sais bien toi, Ninon, que la fée Amoureuse existe. Vois-la danser dans notre foyer, et plains les pauvres gens qui ne croient pas à ma belle fée.

Lorsque Odette s’éveilla, un rayon de soleil éclairait sa chambre, un chant d’oiseau montait du dehors, et le vent du matin caressait ses tresses blondes, parfumé du premier baiser qu’il venait de donner aux fleurs.

Elle se leva, joyeuse, elle passa la journée à chanter, espérant en ce qui lui avait dit la bonne fée. Elle regardait par instants la campagne, souriant à chaque oiseau qui passait, sentant en elle des élans qui la faisaient bondir et frapper ses petites mains l’une contre l’autre.

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Le soir venu, elle descendit dans la grande salle du château. Près du comte Enguerrand se trouvait un chevalier qui écoutait les récits du vieillard. Elle prit sa quenouille, s’assis davant l’âtre où chantait le grillon, et le fuseau d’ivoire tourna rapidement entre ses doigts.

Au fort de son travail, ayant jeté les yeux sur le chevalier, elle lui vit la tige de marjolaine entre les mains, et voilà qu’elle reconnut Loïs à la voix douce. Un cri de joie faillit lui échapper. Pour cacher sa rougeur, elle se pencha vers les cendres, remuant les tisons avec une longue tige de fer. Le brasier crépita, les flammes s’effarèrent, des gerbes bruyantes jaillirent, et soudain, du milieu des étincelles, surgit Amoureuse, souriante et empressée. Elle secoua de sa robe verte les parcelles embrasées qui couraient sur la soie, pareilles à des paillettes d’or ; elle s’élança dans la salle, elle vint, invisible pour le comte, se placer derrière les jeunes gens. Là, tandis que le vieux chevalier contait un combat effroyable contre les Infidèles, elle leur dit doucement :

– Aimez-vous, mes enfants. Laissez les souvenirs à l’austère vieillesse, laissez-lui les longs récits auprès des tisons ardents. Qu’au pétillement de la flamme ne se mêle que le bruit de vos baisers. Plus tard il sera temps d’adoucir vos chagrins en vous rappelant ces douces heures. Quand on aime à seize ans, la voix est inutile ; un seul regard en dit plus qu’un grand discours. Aimez-vous, mes enfants ; laissez la vieillesse.

Puis elle les recouvrit de ses ailes, si bien que le comte, qui expliquait comme quoi le géant Buch Tête-de fer fut occis par un terrible coup de Giralda la lourde épée, ne vit pas Loïs déposant son premier baiser sur le front d’Odette frissonnante.

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Il faut, Ninon que je te parle de ces belles ailes de ma fée Amoureuse. Elles étaient transparentes comme verre et menues commes des ailes de moucheron. Mais, lorsque deux amants se trouvaient en péril d’être vus, elles grandissaient, grandissaient, et devenaient si obscures, si épaisses, qu’elles arrêtaient les regards et étouffaient le bruit des baisers. Aussi le vieillard continua t-il longtemps son prodigieux récit, et longtemps Loïs caressa Odette la blonde, à la barbe du méchant suzerain.

Mon Dieu ! mon Dieu ! les belles ailes que c’étaient ! les jeunes filles, m’a t-on dit, les retrouvent parfois : plus d’une sait ainsi se cacher aux yeux des grands-parents. Est-ce vrai, Ninon ?

Lorsque le comte eut fini sa longue histoire, la fée Amoureuse disparut dans la flamme, et Loïs s’en alla, remerciant son hôte, envoyant un dernier baiser à Odette.

La jeune fille dormit si heureuse, cette nuit-là, qu’elle rêva des montagnes de fleurs éclairées par des millers d’astres, chacun mille fois plus brillant que le sleil.

Le lendemain, elle descendit au jardin, cherchant les tonnelles obscures. Elle rencontra un guerrier, le salua, et allait s’éloigner, lorsqu’elle vit dans la main la tige de marjolaine baignée de larmes. Et voilà qu’elle reconnut encore Loïs à la douce voix, qui venait de rentrer au château sous un nouveau déguisement. Il la fit assoir sur un banc de gazon, auprès d’une fontaine. Ils se regardaient tous les deux, ravis de se voir en plein jour.

Les fauvettes chantainet, on sentait dans l’air que la bonne fée devait rôder par là. Je ne te dirai pas toutes les paroles qu’entendirent les vieux chênes discrets ; c’était plaisir de voir les amoureux bavarder si longtemps, si longtemps, qu’une fauvette qui se trouvait dans un buisson voisin eut le temps de se bâtir un nid.

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Tout à coup les pas lourds du comte Enguerrand se firent entendre dans l’allée. Les deux amoureux tremblèrent. Mais l’eau de la fontaine chanta plus doucement, et Amoureuse sortit, riante et empressée, du flot clair de la source.

Elle entoura les amants de ses ailes, puis glissa légèrement avec eux, passant à coté du comte, qui fut fort étonné d’avoir ouï des voix et de ne trouver personne.

Elle berce ses protégés, elle va, leur répétant tout bas :

– Je suis celle qui protège les amours, celle qui ferme les yeux et les oreille des gens qui n’aiment plus. Ne craignez rien, beaux amoureux : aimez-vous sous le jour éclatant, dans les allées, près de l’eau des fontaines, partout où vous serez.

Je suis là et je veille sur vous. Dieu m’a mise ici-bas pour que les hommes, ces railleurs de toute sainteté, ne viennent jamais troubler vos pures émotions. Il m’a donné mes belles ailes et m’a dit :  » Va, et que les jeunes coeurs se réjouissent. » Aimez-vous, je suis là et je veille sur vous.

Et elle allait, butinant la rosée qui était sa seule nourriture, entraînant, dans une ronde joyeuse, Odette et Loïs, dont les mains se trouvaient enlacées.

Tu me demanderas ce qu’elle fît des deux amants. Vraiment, mon amie, je n’ose te le dire. J’ai peur que tu ne refuses à me croire, ou bien que jalouse de leur fortune, tu ne me rendes plus mes baisers. Mais te voilà toute curieuse, méchante fille, et je vois bien qu’il faut te contenter.

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Or, apprend que la fée rôda ainsi toute la nuit. Lorsqu’elle voulut séparer les amants, elle les vit si chagrins, mais si chagrins de se quitter, qu’elle se mit à leur parler tout bas.

Il paraît qu’elle leur disait quelque chose de bien beau, car leurs visages rayonnaient et leurs yeux grandissaient de joie. Et, lorsqu’elle eut parlé et qu’ils eurent consenti, elle toucha leurs fronts de sa baguette.

Soudain… Oh ! Ninon, quels yeux grands d’étonnement ! Comme tu frapperais du pied, si je n’achevais pas !

Soudain Loïs et Odette furent changés en tiges de marjolaine, mais de marjolaine si belle, qu’il n’y a qu’une fée pour en faire de pareille. Elles se trouvaient placées côte à côte, si près l’une de l’autre que leurs feuilles se mêlaient. C’étaient là des fleurs merveilleuses qui devaient rester épanouies, en échangeant éternellement leurs parfums et leur rosée.

Quand au comte Enguerrand, il se consola, dit-on, en contant chaque soir comme quoi le géant Buch Tête-de-Fer fut occis par une terrible coup de Giralda la lourde épée.

Et maintenant, Ninon, lorsque nous gagnerons la campagne, nous chercherons les marjolaines enchantées pour leur demander dans quelle fleur se trouve la fée Amoureuse. Peut-être, mon amie, une morale se cache t-elle sous ce conte. Mais je ne te l’ai dit, nos pieds devant l’âtre, que pour te faire oublier la pluie de décembre qui bat nos vitres, et t’inspirer, ce soir, un peu plus d’amour pour le jeune conteur.

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Emile Zola ( contes à Ninon )

La Princesse au petit pois

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Il était une fois un prince qui voulait épouser une princesse, mais une vraie princesse.

Il fit le tour de la terre pour en trouver une mais il y avait toujours quelque chose qui clochait ; des princesses, il n’en manquait pas, mais étaient-elles de vraies princesses ?

C’était difficile à apprécier, toujours une chose ou l’autre ne lui semblait pas parfaite.

Il rentra chez lui tout triste, il aurait tant voulu avoir une véritable princesse.

Un soir par un temps affreux, éclairs et tonnerre, cascade de pluie que c’en était effrayant, on frappa à la porte de la ville et le vieux roi lui-même alla ouvrir.

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C’était une princesse qui était là dehors. Mais grands dieux ! de quoi avait-elle l’air dans cette pluie, par ce temps ! L’eau coulait de ses cheveux et ses vêtements, entrait par la pointe de ses chaussures et ressortait par le talon… et elle prétendait être une véritable princesse !

– Nous allons bien voir ça, pensait la vieille reine, mais elle ne dit rien.

Elle alla dans la chambre à coucher, retira la literie et mit un petit pois au fond du lit ; elle prit ensuite vingt matelas qu’elle emplila sur le petit pois et, par-dessus, elle mit encore vingt édredons en plumes d’eider.

C’est là-dessus que la princesse devrait coucher cette nuit-là.

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Au matin on lui demanda comment elle avait dormi.

– Affreusement mal, répondit-elle, je n’ai presque pas fermé l’oeil de la nuit.

Dieu sait ce qu’il y avait dans ce lit. J’étais couchée sur quelque chose de si dur que j’en ai des bleus et des noirs sur tout le corps ! C’est terrible !

Alors, ils reconnurent que c’était une véritabe princesse puisque, à travers les vingt matelas et les vingt édredons en plume d’eider, elle avait senti le petit pois.

Une peau aussi sensible ne pouvait être que celle d’une authentique princesse.

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Le prince la prit donc pour femme, sûr maintenant d’avoir une vraie princesse et le petit pois fut exposé dans le cabinet des trésors d’art, où on peut encore le voir si personne ne l’a emporté.

Et ceci est une histoire vraie.

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Hans Christian Andersen

Contes Merveilleux, Tome II ( 1835 )

Les Fées

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Il était une fois une veuve qui avait deux filles ; l’aînée lui ressemblait si fort et d’humeur et de visage, que qui la voyait, voyait la mère.

Elles étaient toutes deux si désagréables et si orgueilleuses qu’on ne pouvait vivre avec elles.

La cadette, qui était le vrai portrait de son père pour la douceur et pour l’honnêteté, était avec cela une des plus belles filles qu’on eût su voir.

Comme on n’aime naturellement son semblable, cette mère était folle de sa fille aînée, et en même temps avait une adversion effroyable pour la cadette.

Elle la faisait manger à la cuisine et travailler sans cesse.

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Il fallait entre autre chose que cette pauvre enfant allât deux fois le jour puiser l’eau à une grande demi-lieue du logis, et qu’elle en rapportât plein une grande cruche.

Un jour qu’elle était à la fontaine, il vint à elle une pauvre femme qui la pria de lui donner à boire.

 » Oui-da, ma bonne mère », dit cette belle fille ; et rinçant aussitôt sa cruche, elle puisa de l’eau au plus bel endroit de la fontaine, et la lui présenta, soutenant toujours la cruche afin qu’elle bût plus aisément.

La bonne femme, ayant bu, lui dit :  » Vous êtes si belle, si bonne et si honnête, que je ne puis m’empêcher de vous faire un don ( car c’était une Fée qui avait pris la forme d’une pauvre femme de village, pour voir jusqu’où irait l’honnêteté de cette jeune fille ).

Je vous donne pour don, poursuivit la Fée, qu’à chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou une fleur, ou une pierre précieuse. »

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Lorsque cette belle fille arriva au logis, sa mère la gronda de revenir si tard de la fontaine.

 » Je vous demande pardon, ma mère, dit cette pauvre fille, d’avoir tardé si longtemps » ; et en disant

ces mots, il lui sortit de la bouche deux roses, deux perles et deux gros diamants.

« Que vois-je là ! dit sa mère tout étonnée ; je crois qu’il lui sort de la bouche des perles et des diamants ; d’où vient cela ma fille ?  » ( Ce fut là la première fois qu’elle l’appella sa fille ).

La pauvre enfant lui raconta naïvement tout ce qui lui était arrivé, non sans jeter une infinité de diamants.

« Vraiment, dit la mère, il faut que j’y envoie ma fille ; tenez Fanchon, voyez ce qui sort de la bouche de votre soeur quand elle parle ; ne seriez-vous pas bien aise d’avoir le même don ?

Vous n’avez qu’à aller puiser de l’eau à la fontaine, et quand une pauvre femme vous demandera à boire, lui en donner bien honnêtement.

 » Il me ferait beau voir, répondit la brutale, aller à la fontaine.  » Je veux que vous y alliez reprit la mère, et tout à l’heure. »

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Elle y alla mais toujours en grondant.

Elle prit le plus beau flacon d’argent qui fût dans le logis. Elle ne fût pas plus tôt arrivée à la fontaine qu’elle vit sortir du bois une Dame magnifiquement vêtue qui vint lui demander à boire ; c’était la même Fée qui avait apparu à sa soeur, mais qui avait pris l’air et les habits d’une Princesse, pour voir jusqu’où irait la malhonnêteté de cette fille.

 » Est-ce que je suis ici venue, lui dit cette brutale orgueilleuse pour vous donner à boire ? Justement j’ai apporté un flacon d’argent tout exprès pour donner à boire à Madame !

J’en suis d’avis, buvez à même si vous voulez.

 » Vous n’êtes guère honnête, reprit la Fée, sans se mettre en colère : Hé bien ! puisque vous êtes si peu obligeante, je vous donne pour don qu’à chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou un serpent ou un crapaud. »

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D’abord que sa mère l’aperçut, elle lui cria :  » Hé bien, ma fille ! Hé bien, ma mère lui répondit la brutale, en jetant deux vipères, et deux crapauds.

 » Ô ciel ! s’écria la mère, que vois-je là ? C’est ta soeur qui est en cause, elle me le paiera  » ; et aussitôt elle courut pour la battre.

La pauvre enfant s’enfuit, et alla se sauver dans la forêt prochaine.

Le fils du roi qui revenait de la chasse la rencontra et la voyant si belle, lui demanda ce qu’elle faisait là toute seule et ce qu’elle avait à pleurer.

 » Hélas ! Monsieur, c’est ma mère qui m’a chassée du logis.  » Le fils du roi qui vit sortir de sa bouche cinq ou six perles et autant de diamants, la pria de lui dire d’où cela lui venait.

Elle lui conta toute son aventure.

Le fils du roi en devint amoureux, et considérant qu’un tel don valait mieux que tout ce qu’on pouvait donner en mariage à un autre, l’emmena au Palais du roi son père, où il l’épousa.

Pour sa soeur, elle se fit tant haïr, que sa propre mère la chassa de chez elle ; et la malheureuse, après avoir bien couru sans trouver personne qui voulût la recevoir, alla mourir au coin d’un bois.

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Moralité :

Les diamants et les pistoles,

peuvent beaucoup sur les esprits,

cependant les douces paroles

ont encore plus de force, et sont d’un plus grand prix.

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Autre moralité :

L’honnêteté coûte des soins, et veut un peu de complaisance,

mais tôt ou tard elle a sa récompense,

et souvent dans le temps qu’on y pense le moins.

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Charles Perrault

Contes ou histoires du temps passé ( 1697 )

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La Clef d’Or

C’était l’hiver, une épaisse couche de neige recouvrait la terre. Le gel avait figé dans un sommeil sans fin la nature. Un pauvre homme sortit de sa maison avec un traîneau pour aller chercher du bois mort dans la forêt.

Or, le froid était si intense dans la forêt, que quand il eût chargé son traîneau avec tout le bois qu’il avait pu ramasser, il se trouva incapable de rentrer chez lui, tant il était transi, il décida de faire un petit feu pour se réchauffer avant de poursuivre sa route.

Il balaya la neige pour installer quelques branchettes, et tout en raclant le sol, il trouva une petite clef d’or.

Croyant que là où était la clef, il devait y avoir aussi la serrure, il creusa la terre encore et encore au point que la sueur tombait de son front jusque dans ses yeux, il creusa longtemps, des heures et des heures.

Enfin, il trouva une cassette de fer.

– Pourvu que la clef aille ! pensa t’il. La cassette contient sûrement un…trésor.

Il chercha et chercha encore pendant des jours et des jours. Mais il ne vit pas le moindre trou de serrure. Il en découvrit un, mais si petit que tout juste on le voyait.

Maintenant, il fallait essayer la clef. Il essaya pendant des semaines, des semaines et des mois. Et la clef alla dans la serrure ! Il était tellement réjoui qu’il n’avait toujours pas froid.

Il fallait encore ouvrir la cassette en soulevant son couvercle. Il s’y employa pendant des années et des années. Il y est encore.

Donc, il nous faut attendre qu’il ait fini de soulever le couvercle. Alors nous saurons nous aussi quelles choses merveilleuses sont contenues dans la cassette !

Conte de Jacob et Wilhelm GRIMM

Peau d’Âne

De Charles Perrault

Il était une fois un roi,

Le plus grand qui fût sur la terre,

Aimable en paix, terrible en guerre,

Seul enfin comparable à soi.

Ses voisins le craignaient, ses états étaient calmes,

Et l’on voyait de toutes parts

Fleurir, à l’ombre de ses palmes,

Et les vertus et les beaux-Arts.

Son aimable Moitié, sa Compagne Fidèle,

Etait si charmante et si belle,

Avait l’esprit si commode et si doux

Qu’il était encore avec elle

Moins heureux Roi qu’heureux époux.

De leur tendre et chaste Hyménée

Plein de douceur et d’agrément,

Avec tant de vertus une fille était née,

Qu’ils se consolaient aisément

De n’avoir pas de plus ample lignée.

Dans son vaste et riche Palais

Ce n’était que magnificence,

Partout y fourmillait une vive abondance

De courtisans et de valets,

Il avait dans son Ecurie

Grands et petits chevaux de toutes les façons,

Couverts de beaux carapaçons,

Roides d’or et de broderies.

Mais ce qui surprenait tout le monde en entrant,

C’est qu’au lieu le plus apparent,

Un maître Ane étalait ses deux grandes oreilles.

Cette injustice vous surprend,

Mais lorsque vous saurez ses vertus non pareilles,

Vous ne trouverez pas que l’honneur fût trop grand.

Tel et si net le forma la nature

Qu’il ne disait jamais d’ordure,

Mais bien beaux Ecus au soleil

Et Louis de toute manière,

Qu’on allait recueuillir sur la blonde litière

Tous les matins à son réveil.

Or le ciel qui parfois se lasse

De rendre les hommes contents,

Qui toujours à ses bien mêle quelque disgrâce,

Ainsi que la pluie au beau temps,

Permit qu’une âpre maladie

Tout à coup de la Reine attaquât les beaux jours.

Partout on cherche du secours,

Mais ni la faculté qui le Grec étudie,

Ni les charlatans ayant cours,

Ne purent tous ensemble arrêter l’incendie

Que la fièvre allumait en s’augmentant toujours.

Arrivée à sa dernière heure,

Elle dit au Roi son époux :

 » Trouvez bon qu’avant que je meure

J’exige une chose de vous,

C’est que s’il vous prenait envie

De vous remarier quand je n’y serai plus…

– Ah ! dit le Roi, ces soins sont superflus,

Je n’y songerai de ma vie,

Soyez en repos là-dessus,

– Je le crois bien, reprit la reine,

Si j’en prends à témoin votre amour véhément,

Mais pour m’en rendre certaine,

Je veux avoir votre serment,

Adouci toutefois par ce tempérament

Que si vous rencontrez une femme plus belle,

Mieux faite et plus sage que moi,

Vous pourrez franchement lui donner votre foi

Et vous marier avec elle. »

Sa confiance en ses attraits

Lui faisait regarder une telle promesse

Comme un serment, surpris avec adresse,

De ne se marier jamais.

Le Prince jura donc, les yeux baignés de larmes,

Tout ce que la Reine voulut,

La reine entre ses bras mourut,

Et jamais un Mari ne fit tant de vacarmes.

A l’ouïr sangloter et les nuits et les jours,

On jugea que le deuil ne lui durerait guère,

Et qu’il pleurait ses défuntes Amours

Comme un homme pressé qui veut sortir d’affaires.

On ne se trompa point. Au bout de quelques mois

Il voulut procéder à faire un nouveau choix,

Mais ce n’était pas chose aisée,

Il fallait garder son serment

Et que la nouvelle Epousée

Eût plus d’attrait et d’agrément

Que celle qu’on venait de mettre au monument.

Ni la cour en beautés fertiles,

Ni la campagne, ni la ville,

Ni les Royaumes d’alentour

Dont on alla faire le tour,

N’en purent fournir une telle,

L’infante seule était plus belle

Et possédait certains tendres appas

Que la défunte n’avait pas

Le Roi le remarqua lui-même

Et brûlant d’un amour extrême, Alla follement s’aviser

Que par cette raison il devait l’épouser

Il trouva même un Casuiste

Qui jugea que le cas se pouvait proposer.

Mais la jeune princesse triste

D’ouïr parler d’un tel amour,

Se lamentait et pleurait nuit et jour.

De mille chagrins l’âme en peine,

Elle alla trouver sa Marraine,

Loin dans une grotte à l’écart

De nacre et de Corail richement étoffée.

C’était une admirable Fée

Qui n’eut jamais de pareille en son Art.

Il n’est pas besoin qu’on vous dise

Ce qu’était une Fée en ces bienheureux temps,

Car je suis sur que votre Mie

Vous l’aura dit dès vos plus jeunes ans.

 » Je sais dit-elle, en voyant la princesse

Ce qui vous fait venir ici,

Je sais de votre coeur la profonde tristesse,

Mais avec moi n’ayez de souci.

Il n’est rien qui vous puisse nuire

Pourvu qu’à mes conseils vous vous laissiez conduire.

Votre père, il est vrai, voudrait vous épouser, écouter sa folle demande

Serait une faute bien grande,

Mais sans le contredire on le peut refuser.Peau d'Âne

Dites lui qu’il faut qu’il vous donne

Pour prendre vos désirs contents,

Avant qu’à son aomour votre coeur s’abandonne,

Un robe qui soit de la couleur du temps

Malgrè tout son pouvoir et toute sa richesse,

Quoique le ciel en tout favorise ses voeux,

Il ne pourra jamais accomplir sa promesse. « 

Aussitôt la jeune Princesse

L’alla dire en tremblant à son père amoureux

Qui dans le moment fit entendre

Aux tailleurs les plus importants

Que s’ils ne lui faisaient, sans trop le faire attendre,

Une robe qui fût de la couleur du temps,

Ils pouvaient s’assurer qu’il les ferait tous pendre.

Le second jour ne luisait pas encor

Qu’on apporta la robe désirée,

Le beau bleu de l’Empyrée

N’est pas, lorsqu’il est ceint de gros nuages d’or,

D’une couleur plus azurée.

De joie et de douleur l’Infante pénétrée

Ne sait que dire ni comment

Se dérober à son engagement.

 » Princesse, demandez-en une,

Lui dit sa marraine tout bas,

Qui plus brillante et moins commune,

Soit de la couleur de la lune.

Il ne vous la donnera pas. « 

A peine la Princesse en eut fait la demande

Que le Roi dit à son brodeur :

 » Que l’astre de la Nuit n’ait pas plus de splendeur

Et que dans quatre jours sans faute on me me la rende. « 

Le riche habillement fut fait au jour marqué,

Tel que le Roi s’en était expliqué

Dans les Cieux ou la Nuit a déployé ses voiles,

La lune est moins pompeuse en sa robe d’argent

Lors même qu’au milieu de son cours diligent

Sa plus vive clarté fait pâlir les étoiles.

La princesse admirant ce merveillex habit,

Etait à consentir presque délibérée,

Mais par sa marraine inspirée,

Au prince amoureux elle dit :

 » Je ne saurais être contente que je n’aie une robe encor plus brillante

Et de la couleur du soleil. « 

Le Prince qui l’aimait d’un amour sans pareil,

fit venir aussitôt un riche Lapidaire

Et lui commanda de la faire

D’un superbe tissu d’or et de diamants,

Disant que s’il manquait à le bien satisfaire

Il le fairait mourir au milieu des tourments.

Le Prince fut exempt de s’en donner la peine,

Car l’ouvrier industrieux,

Avant la fin de la semaine,

Fit apporter l’ouvrage précieux.

Si beau, si vif, si radieux,

Que le blond Amant de Clymène,

Lorsque sur la voûte des Cieux se promène,

D’un plus brillant éclat n’éblouit pas les yeux.

L’Infante que ces dons achévent de confondre,

A son père, à son Roi ne sait plus que répondre.

Sa marraine aussitôt la prenant par la main :

 » Il ne faut pas, lui dit-elle à l’oreille,

Demeurer en si beau chemin,

Est-ce une si grande merveille

Que tous ces dons que vous recevez,

Tant qu’il aura l’âne que vous avez,

Qui d’écus d’or sans cesse emplit sa bourse ?

Demandez lui la peau de ce rare Animal.

Comme il est toute sa ressource,

Vous ne l’obtiendrez pas, ou je raisonne mal. « 

Cette fée était bien savante,

Et cependant elle ignorait encor

Que l’amour violent pourvu qu’on le contente,

Compte pour rien l’argent et l’or.

La peau fut galamment aussitôt accordée

Que l’Infante l’eut demandée.

Cette peau quand on l’apporta

Terriblement l’épouvanta

Et la fit de son sort amèrement se plaindre

Sa marraine survint et lui représenta

Que quand on fait le bien on ne doit jamais craindre,

Qu’il faut laisser penser au Roi

Qu’elle était tout à fait disposée

A subir avec lui la conjugale Loi.

Mais qu’au même moment, seule et bien déguisée,

Il faut qu’elle s’en aille an quelque Etat lointain

Pour éviter un mal si proche et si certain.

 » Voici, poursuit-elle, une grande cassette

Où nous mettrons tous vos habits,

Votre miroir, votre toilette

Vos diamants et vos rubis.

Je vous donne ma baguette,

En la tenant en votre main, La cassette suivra votre chemin

Toujours sous la terre cachée.

Et lorsque vous voudrez l’ouvrir,

A peine mon bâton la Terre aura touchée

Qu’aussitôt à vos yeux elle viendra s’offrir.

Pour vous rendre méconnaissable,

La dépouille de l’Ane est un masque admirable.

Cachez-vous bien dans cette peau.

On ne croira jamais, tant elle est effroyable,

Qu’elle renferme rien de beau.

La princesse ainsi travestie

De chez la sage Fée à peine sortie,

Pendant la fraîcheur du matin,

Que le Prince qui pour la fête

De son heureux Hymen s’apprête,

Apprends tout effrayé son funeste destin.

Il n’est point de maison, de chemin, d’avenue,

Qu’on ne parcourent promptement,

Mais on s’agite vainement,

On peut deviner ce qu’elle est devenue.Peau d'Âne

Partout se répendit un triste et noir chagrin,

Plus de noces, plus de festin,

Plus de tarte, plus de dragées,

Les Dames de la Cour, toutes découragées,

N’en dinèrent point la plupart,

Mais du Curé sur tout la trisesse fur grande,

Car il en déjeuna fort tard,

Et qui pis est n’eut point d’offrande.

L’Infante cependant poursuivit son chemin,

Le visage couvert d’une vilaine crasse,

A tous passants elle tendait la main,

Et tâchait pour servir de trouver une place.

Mais les moins délicats et les plus malheureux

La voyant si maussade et si pleine d’ordure,

Ne voulaient écouter ni retirer chez eux

Une si sale créature.

Elle alla donc bien loin, encor plus loin,

Enfin elle arriva dans une Métaireie

Où la Fermière avait besoin

D’une souillon, dont l’insdustrie

Allât jusqu’à savoir bien laver des torchons

Et nettoyer l’auge à cochons

On la mit dans un coin au fond de la cuisine

Ou les valets, insolente vermine,

Ne faisaient que la tirailler,

La contredire et la railler,

Ils ne savaient quelle pièce lui faire,

La harcelant à tout propos,

Elle était la butte ordinaire

De tous leurs quolibets de tous leurs bons mots.

Elle avait le dimanche un peu de repos,

Car, ayant du atin fait sa petite affaire,

Elle entrait dans sa chambre et tenant son huis clos,

Elle se décrassait, puis ouvrait sa cassette,

Mettait proprement sa toilette

Rangeait dessus ses petits pots,

Devant son grand miroir, contente et satisfaite,

De la lune tantôt sa robe elle mettait

Tantôt celle où le feu et le soleil éclatait,

Tantôt la robe bleue

Que l’azur de Ciex ne saurait égaler,

Avec ce chagrin seul que les trainante queue,

Sur le plancher trop court ne pourvait s’étaler,

Elle aimait à se voir jeune, vermeille et blanche

Et plus brave cent fois que nulle autre n’était,

Ce doux plaisir la sustentait

Et la menait jusqu’à l’autre dimanche.

J’oubliais de dire en passant

Qu’en cette grande Métairie

D’un Roi magnifique et puissant

Se faisait la Ménagerie,

Que là, poules de Barbarie,

Râles, pintades, cormorans,

Oison musqués, canes petières,

Et mille autres oiseaux de bizarres manières,

Entre eux presque tous différents,

Remplissaient à l’envi dix cours toutes entières.

Le fils du Roi dans ce charmant séjour

Venait souvent au retour de la Chasse

Se reposer, boire à la glace

Avec les seigneurs de la Cour.

Tel ne fut point le beau Céphale,

Son air était Royal, sa mine martiale,

Propre à faire trembler les plus fiers bataillons,

Peau d’Ane de fort loin le vit avec tendresse,

Et reconnut par cette hardiesse

Que sous sa crasse et ses haillons

Elle gardait encor le coeur d’une Princesse.

 » Qu’il a l’air grand, quoiqu’il l’ait négligé,

Qu’il est aimable disait-elle,

Et que bienheurse est la belle

A qui son coeur est engagé !

D’une robe de rien s’il m’avait honorée,

Je m’en trouverais plus parée

Que de toutes celles que j’ai. « 

Un jour le jeune Prince errant à l’avanture

De basse-cour en basse-cour,

Passa dans une allée obscure

Où la Peau d’Ane était l’humble séjour,

Par hasard il mit l’oeil au trou de la serrure

Comme il était fête ce jour,

Elle avait pris une riche parure

Et ses superbes vêtements

Qui, tissus de fin or et de gros diamants,

Egalaient du Soleil la clarté la plus pure.

Le prince au gré de son désir

La contempla et ne peut qu’à peine,

En la voyant, reprendre haleine.

Tant il est comblé de plaisr,

Quels que soient les habits, la beauté du visage,

Son beau tour, sa vive blancheur,

Ses traits fins, sa jeune fraîcheur

Le touchent cent fois davantage,

Mais un certain air de grandeur

Plus encore une sage et modeste pudeur,

Des beautés de son âme assuré témoignage,

S’emparèrent de tout son coeur.

Trois fois dans la chaleur du feu qui le transporte,

Il voulut enfoncer la porte,

Mais croyant voir une Divinité,

Trois fois par le respect son bras fut arrêté.

Dans le palais, pensif il se retire,

Et là, nuit et jour il soupire,

Il ne veut plus aller au bal

Quoiqu’en soit dans le Carnaval.

Il hait la chasse, il hait la comédie,

Il n’a plus d’appétit, tout lui fait mal au coeur,

Et le fond de sa maladie

Est une triste et mortelle langueur.

Il s’enquit quelle était cette nymphe admirable

Qui demeurait dans une basse-cour,

Au fond d’une allée effroyable

Qu’on ne voit goutte en plein jour.

 » C’est lui dit-on, Peau d’Ane, en rien Nymphe ni belle

Et que Peau d’Ane l’on appelle,

A cause de la peau qu’elle met autour du cou,

De l’amour c’est le vrai remède,

La bête en un mot la plus laide,

Qu’on puisse voir après le loup. « 

On a beau dire, il ne saurait le croire,

Les traits que l’amour a tracés

Toujours présents en mémoire

N’en seront jamais effacés.

Cependant la Reine sa Mère

Qui n’a que lui d’enfant pleure et se désepère,

De déclarer son mal elle le presse en vain,

Il gémit, il pleure, il soupire,

Il ne dit rien, si ce n’est qu’il désire

Que Peau d’Ane lui fasse un gâteau de sa main,

Et sa mère ne sait ce que son fils veut dire.

 » O ciel ! Madame, lui dit-on,

Cette Peau d’Ane est une noire taupe

Plus vilaine encore plus gaupe

Que le sale Marmiton.

« – N’importe, dit la Reine, il le faut satisfaire

Et c’est à cela seul que nous devons songer. « 

Il aurait eu de l’or, tant l’aimait cette mère

S’il en avait voulu manger.

Peau d’Ane donc prend de la farine

Qu’elle avait fait bluter exprès

Pour rendre la pâte plus fine

Son sel, son beurre et ses oeufs frais,

Et pour bien faire sa galette,

S’enferme seule en sa chambrette

D’abord elle se décrassa

Les mains, les bras et le visage,

Et pris un corps d’argent que vite elle laça

Pour dignement faire l’ouvrage

Qu’aussitôt elle commença.

On dit qu’en travaillant un peu trop à la hâte,

De son doigt par hasard il tomba dans la pâte

Un des ses anneaux de grand prix,

Mais ceux qu’on tient savoir la fin de cette histoire

Assurent que par elle exprès il y fut mis.

Et pour moi franchement je l’oserai bien croire,

Fort sur que, quand le Prince à sa porte aborda

Et par le trou la regarda,

Elle s’en était aperçue.

Sur ce point la femme est si drue

Et son oeil va si promptement

Qu’on ne peut la voir un moment

Qu’elle ne sache qu’on la vue.

Je suis bien sûr encor, et j’en ferais serment,

Qu’elle ne douta point de son jeune Amant

La bague ne fût bien reçue.

On ne pétrit jamias un si friand morceau,

Et le Prince trouva la galette si bonne

Qu’il ne s’en fallut rien que d’une faim gloutonne

Il n’avalât aussi l’anneau.

Quand il en vit l’émeraude admirable,

Et du jonc d’or le cercle étroit,

Qui marquait la forme du doigt,

Son coeur en fût touché d’une joie incroyable,

Sous son chevet il le mit à l’instant,

Et son mal toujours augmentant,

Les medecins sages d’expérience,

En le voyant maigrir de jour en jour,

Jugèrent tous, par leur grande science,

Qu’il était malade d’amour.